Jolly New Songs review – MOWNO
La musique serait le reflet de l’environnement économique, politique et climatique dans lequel elle a été créée.
C’est pour ça par exemple que Belfast n’est pas fameux pour son zouk, que le post rock viendra plutôt de villes industrielles, que l’étonnement ne sera que passager quand on apprendra que Trupa Trupa réside à Gdansk, port de Pologne connu pour ses chantiers navals et comme le berceau de Solidarnosc, le mouvement ouvrier qui déboulonnera les apparachiks soviétiques à la tête du pays en 1990. Le groupe est distribué en France depuis son dernier album ‘Headache’ par l’ultra-recommandable label Ici d’Ailleurs, et il sort en ce mois d’octobre le suivant ‘Jolly New Songs’, en partenariat avec Blue Tapes et X-Ray Records.
Le morceau initial, comme le deuxième ‘Coffin’, débute sur des bases pop détendues qui n’existaient pas sur ‘Headache’, mais qui finissent englouties dans un magma sonore à l’intensité croissante. Déjà, on note la construction des morceaux basée sur la répétition de boucles musicales et de paroles minimales. Répéter sans être répétitif, voilà le problème auquel s’attaque avec brio Trupa Trupa, gérant les atmosphères, maîtrisant les grands écarts émotionnels. Le bipolaire ‘Failling’ enchaîne panique noise et accalmies sous cachets. Du plancher terrestre, on admire ‘Leave it All’, planant au plus près d’un paradis velvetien, avant de tomber en pleine dépression. ‘Love Supreme’ émet le signal de détresse, le morceau sombre dans le formol, sauvé in extremis par des chœurs angéliques, d’une lumière éclatante. ‘None of Us’ s’exprime dans ce même état végétatif, et fait penser à Slint pour sa capacité à garder allumée une dernière lueur d’espoir, alors que l’implacable ‘Never Forget’ aliène comme huit heures de travail à la chaîne, ne créant que colère et rancœur dans l’esprit de l’ouvrier. La fin du disque paraît plus heureuse : ‘Only Good Weaver’ est d’humeur joviale, mais avec l’impression dérangeante qu’elle serait forcée. ‘To Me’ s’échappe le cœur léger, au dessus de guitares destructrices, dans l’espoir d’un lendemain meilleur.
Les ‘Jolly New Songs’ ne s’écoutent pas d’une oreille distraite, elles sont extrêmement bien construites mais requièrent tout de même une certaine exigence pour pouvoir y pénétrer. Il faudra aussi tolérer la longueur et une grande amplitude de tempos entre martèlements quasi-autistes et flottements cotonneux. Ces tensions et envolées entre chien et loup ont quelque chose de cinématographique : c’est peut être le quotidien de bien d’un jeune polonais aux idées noires, regardant au delà de la Baltique depuis les docks de Gdansk. Les paradis, s’ils ne sont qu’artificiels, ne sont que dans les rêves.